De la technologie mise à notre disposition, nous espérions des résultats stupéfiants et spectaculaires, désireux que nous sommes d'entendre des phénomènes acoustiques non audibles pour l'oreille humaine, telle cette musique des sphères, dont on croyait autrefois qu'elle correspondait à l'harmonie du mouvement des astres dans le cosmos. Au lieu de quoi, nous en appelons et en revenons souvent à des sonorités tellement simples qu'elles résonnent comme un battement de cœur, comme ce rythme originel qui accompagne la vie prénatale et que l'enfant cherche à reproduire à travers des jeux dramatiques, tel le "parti ! - coucou !". Que nous nous cachions les yeux, nous rendant aveugles un instant, et que, lui dérobant ainsi tout son monde, nous le précipitions à nouveau dans l'angoisse de la solitude de celui qui n'est plus reconnu par le regard de ses parents, et voilà l'enfant au bord des larmes. Nous le tenons dans l'incertitude, puis... "coucou !" : sa tension est balayée par notre sourire rassurant. Nous continuons de jouer avec lui, sur un mode de plus en plus frénétique, accélérant et régissant par ces deux petits mots l'alternance d'un "se perdre" et d'un "se retrouver" qui le conditionneront pour toute sa vie. L'enfant a une expérience précoce de cette alternance et, en inventant ses premiers jeux, il se familiarise - à travers la répétition d'un geste et la monotonie d'une cantilène - avec l'éloignement de la mère, la disparition, et parvient à maîtriser ce même sentiment de perte et de vide qui imprègne la chambre du narrateur de la "Recherche" tandis que la mère s'entretient avec des invités à l'étage inférieur. C'est cette angoisse primitive que le jeune patient de Freud cherche à apprivoiser quand il lance par-dessus le bord de son petit lit une bobine autour de laquelle est enroulée une ficelle. En la faisant disparaître pour ensuite la ramener à lui - grâce à ce fil qui est peut-être celui qui sauve Thésée du labyrinthe du Minotaure -, l'enfant accompagne son geste d'un obsessionnel Fort-Da, Fort-Da ("parti-revenu") et trouve dans cette vocalisation une parade et un réconfort face à l'abîme. Ces deux mots qu'il répète sans cesse lui permettent de supporter et d'accueillir le vide. L'un confirme l'autre. On attend et on cherche indéfiniment, comme dans un jeu de miroirs qui donne forme à une présence invisible. La résonance du Fort-Da occupe phonétiquement l'espace et trompe le temps. Le Fort-Da insiste sur l'instant présent, ne le laisse pas mourir dans la gueule de Chronos, qui dévore ses enfants. Cette cantilène monotone est une musique originelle qui donne forme au temps, le "rend présent", comme dans un mythe cosmogonique qui ferait tout naître d'un chant céleste. Et les enfants ne se lassent pas de jouer avec le présent. Pour eux, ce n'est pas perdre son temps que de répéter cette ronde autour d'un monde délimité par leurs mains qui se tiennent, et qui est ainsi mimé comme un espace vide qui les fera "tomber par terre" à la fin de la cantilène. Ils ne veulent pas que s'arrête l'histoire d'un roi qui raconte l'histoire d'un roi, et ainsi de suite. Leurs ritournelles rythmées sont des processus sonores qui échappent à tout rapport économique avec le monde, à notre désir d'arrêter et de posséder ce temps dont on dit - comme s'il s'agissait d'un bien dont on serait propriétaire et sur lequel on aurait des droits - qu'il nous manque. Répéter, se répéter, insister sur la capacité à s'éteindre et à renaître du maintenant signifie marquer la cadence d'un rythme originel, en cherchant dans les sons une formule magique, un Fort-Da à intégrer, qui, résonnant rythmiquement, saura rendre présent le don d'une absence. Et la répétition, l'instauration du rythme, dans laquelle la vérité de l'instant écoulé est donnée par son évanouissement dans l'instant suivant, nous enseigne à accueillir comme un don - et non à retenir - le riche et abyssal rien, ou, plutôt, le presque-rien de la musique et de tout processus sonore.
Gianfranco Maraniello vit à Milan. Critique, commissaire d'exposition, il collabore à Flash Art et à Bijutsu Techo.
in: Sonic Process : une nouvelle géographie des sons. - Paris : Pompidou, 2002
* chaque page de blog est à considérer comme une pièce _
Gianfranco Maraniello vit à Milan. Critique, commissaire d'exposition, il collabore à Flash Art et à Bijutsu Techo.
in: Sonic Process : une nouvelle géographie des sons. - Paris : Pompidou, 2002
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